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« Lord of the fucking Wasteland », c’est le titre de la future exposition d’Eliza Douglas chez Air de Paris, et c’est aussi l’inscription lisible sur une des peintures qui y sera montrée. Tous les tableaux de cette prochaine exposition sont faits d’après des photographies de T-shirts illustrés.

En supposant que le « Lord » du titre soit l’artiste elle-même, les « sujets » sur lesquels elle règne sont ceux, fictifs, qui peuplent ce territoire en déshérence : les sujets de ces peintures, réalisées à partir de prises de vue recadrant des images (de morts vivants et de super-héros) imprimées sur des T-shirts. Ces images ne sont pas « les siennes » au sens où elles seraient le produit de son imagination, mais au sens où il s’agit de vêtements qui lui appartiennent. Les peintures qui en sont tirées sont comme un échantillonnage d’une sculpture montrée précédemment par Eliza Douglas à la Tate Gallery pour la performance de Anne Imhof « Sex », et qui consistait en un gros tas de T-shirts posés sur le sol – des t-shirts à l’effigie du groupe Kiss, de chatons, d’Elizabeth Warren ou de Bernie Sanders,... (« Pile », 2019)

Dans ces nouvelles peintures, l’image est contrainte par le format et suggère que les vêtements ont été froissés pour tenir dans le cadre. Les proportions des tableaux (210 x 160 cm) correspondent à peu de choses près au ratio photographique traditionnel 4:3, qui est aussi celui utilisé par défaut sur l’appareil photo de l’iPhone, dont se sert Eliza Douglas pour prendre les vues à la source de ses peintures. Par leur correspondance avec le monde de la photo, ces proportions sont la nouvelle géométrie secrète de la peinture. L’application de ce ratio permet d’intégrer symboliquement au tableau ses conditions de circulation et de publicité actuelles sous forme de photographies numériques. Aujourd’hui les peintures accèdent à l’existence publique sur les réseaux sociaux avant d’être exposées. Elles existent sous formes de vignettes digitales qui se montrent et s’échangent entre amateurs et/ou professionnels, avant même de trouver une occasion physique de rencontrer leurs spectateurs (comme c’est le cas présentement).

La facture des peintures est précise, nette, par contraste avec l’image représentée, qui est rendue confuse du fait des pliures. L’image gagne un volume par le froissement, mais elle est réaplatie (ou repassée) par la peinture. Le sujet est une image sur du tissu, et c’est aussi ce qu’est la peinture – une image appliquée sur de la toile. Le T-shirt illustré est à sa façon un portrait que l’on porte, permettant de projeter l’image que l’on souhaite donner de soi. Ce principe est bien compris par celles et ceux en charge de la promotion des vêtements, qui va souvent de pair avec la promesse d’une équation entre identité personnelle et produit : « ce vêtement, c’est vous », comme s’efforcent de nous en convaincre les publicités dans ce domaine. Par une sorte de métonymie, les habits figurent ici celle qui les porte.

On parle souvent du vêtement comme d’un leurre destiné à séduire, une sorte de masque destiné à se mettre en valeur. Mais il peut s’agir aussi, comme c’est plutôt le cas ici, d’un bouclier, ou d’une armure. L’image véhiculée par l’iconographie de ces peintures est celle de la dureté, mais aussi de l’anormalité. L’ imagerie monstrueuse fonctionne comme une défense, un repoussoir – à l’inverse du t-shirt arborant l’image d’un chaton, par exemple, qui suscitera plus vraisemblablement l’empathie. Une autre figure représentée sur une des peintures, Sailor Moon (une héroïne de manga), est une figure monstrueuse également, dans la mesure où elle est l’expression d’une humanité supranaturelle.

La modestie des sujets, le gonflement de l’image à travers le drapé, l’exécution dénuée d’effets painterly, tout cela concourt à une sensation de légèreté. Mais ce qui est représenté est, par contre, plutôt inquiétant, renvoyant à un genre de musique sombre, ou au vacarme de la course automobile (un des tableaux figure un pilote du championnat NASCAR). On peut noter que« The Lord of the Wasteland » est une chanson de Toxic Holocaust, qu’un des tableaux est la reproduction de la pochette de « Scream Bloody Gore », un album du groupe Death, et qu’un autre reproduit celle de « In the Nightside Eclipse », disque d’un autre groupe, Emperor. Que les images représentées sur les peintures reprennent des pochettes de disque spécifiques ou une imagerie plus générique, elles renvoient à l’univers musical du metal et de ses sous-genres : speed, thrash, death... Ce qui peut être compris, par ailleurs, comme le résumé programmatique des courses de NASCAR (vitesse, accidents, et la mort pour les concurrents les plus malchanceux).

Si dans l’ancien temps, le répertoire des sujets en peinture était quasiment figé, depuis les commencements de l’art moderne les artistes ont élargi le monde de la peinture en y ajoutant des sujets nouveaux. Depuis cette époque, ce qu’on attend paradoxalement de l’art est l’inattendu, et là en l’occurrence, c’est inattendu – c’est même fucking unexpected. Qu’un T-shirt d’un groupe de death metal devienne le sujet d’une peinture est aussi improbable que ne l’était en son temps l’irruption dans le monde de l’art, via la peinture impressionniste, d’un concert au jardin des Tuileries ou l’entrée en gare d’un train.

- Vincent Pécoil, 2020


Eliza Douglas (née aux USA en 1984, vit et travaille à Berlin et New York) a eu des expositions personnelles au Jewish Museum de New York (2018) et au Schinkel Pavillon à Berlin (2017).Elle a collaboré et performé dans Angst II de Anne Imhof (2016), ainsi que dans Faust présenté au Pavillon Allemand (Lion d’Or de la Biennale de Venise) dont elle a co-écrit la la bande son. Elle collabore à nouveau avec Anne Imhof pour Sex, performance presentée à la Tate Modern à Londres en 2019.



As well as being the title of Eliza Douglas’s upcoming exhibition at Air de Paris, Lord of the Fucking Wasteland is the message you can read on one of the paintings on show. All the pictures in the exhibition are taken from photos of illustrated T-shirts.

Presuming that the Lord in question is to be taken as an alter ego of the artist herself, the «subjects» she rules over are the fictive inhabitants of this derelict territory: the subjects of paintings based on cropped photos of tees printed with zombies, vampires and superheroes. These paintings aren’t «hers» in the sense of being pure products of her imagination, but rather in the sense of the garments being her personal property. The resultant paintings are a kind of sampling of her sculpture Pile (2019), recently shown at the Tate to accompany Anne Imhof’s performance Sex: an enormous heap of T-shirts on the floor, with motifs including Kiss, kittens, Elizabeth Warren and Bernie Sanders.

In these new paintings the image is conditioned by the format, giving the impression that the shirts have been deliberately crumpled to make them match the frame. The measurements (210 x 160 cm) are very close to the traditional 4:3 photographic ratio – which is also the default setting on the iPhone camera Douglas uses for the pictures that serve as her source. This fit with the world of photography makes these proportions painting’s new, secret geometry, with application of the ratio enabling symbolic incorporation into the picture of its current means of circulation and publicity in the form of digital photographs. Today the paintings go public on the social networks before being exhibited; as digital vignettes they are shown and swapped among amateurs and/or professionals before the opportunity arises for any physical encounter with their viewers (as is the case at present).

The style of the paintings is clear and sharp, in contrast with the actual image, which is distorted by the creases. The image gains in volume through the crumpling, but is then flattened (or ironed out) by the paint. The subject is an image on fabric, which is also the case of the painting – an image applied to canvas. In its own way the illustrated T-shirt is a portrait you wear, a way of projecting an intended self-image. This ground rule has been thoroughly integrated by the people in charge of clothes advertising and its habitual promise of an intimate connection between personal identity and product: «This garment is you», the ads endlessly encourage us to believe. Through a kind of metonymy clothing comes to represent the wearer.

Clothes are often spoken of as a seductive illusion, a kind of mask intended to create a good impression. But they can also – as is the case here – conjure up a shield, or a suit of armour. The image conveyed by the visual thematics of these paintings is one of harshness, but also of abnormality, of a monstrousness that functions as a defence, a repellent – the antithesis, for example, of the T-shirt sporting a picture of a kitten more likely to trigger empathy. Another figure in one of the paintings is manga heroine Sailor Moon, equally monstrous in her embodiment of a supranatural humanity.

The insignificance of the subjects, the distension of the image via the folds, the total absence of painterly effects – all these factors contribute to an impression of triviality; but what is actually shown is somewhat disturbing in its evocation of a darkly menacing style of music or the deafening blare of a car race (one of the paintings is of a driver from the NASCAR Cup). We note in passing that «The Lord of the Wasteland» is a song by Toxic Holocaust; that one of the pictures is a copy of the cover of Death’s album Scream Bloody Gore; and another that of Emperor’s In the Nightside Eclipse. But whether the references are to specific album covers or a more generic imagery, the focus is systematically on the world of Heavy Metal and such subgenres as speed, thrash and death. A résumé, you might say, of NASCAR’s stock-in-trade: more speed, plus accidents and – for the less fortunate competitors – extinction.

Back in the old days the painting repertoire was all but immutable, but since the advent of modernism artists have broadened their horizons with new subjects. Paradoxically, what is expected of art now is the unexpected. And what we’re getting here is fucking unexpected. That a Death Metal group’s T-shirt should find its way into a painting is as improbable now as the Impressionist apparition in the traditional art world of a concert in the Tuileries or a train pulling into a station.

- Vincent Pécoil, 2020


Eliza Douglas (Born in USA in 1984, lives and works in Berlin and New York) has had personal exhibitions at the Jewish Museum in New York (2018) and at Schinkel Pavillon in Berlin (2017).She has performed and collaborated with Anne Imhof for Angst II presented at the Kunsthalle Basel (2016), and for Faust presented at the German Pavillon (laureate of the Golden Lion) at the 57th Venice Biennial in 2017. She co-wrote the soundtrack for Faust. Eliza Douglas also collaborated with Imhof for Sex presented at the Tate Modern in London (2019).