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• A propos de l'exposition / About the exhibition
Dans son travail photographique récent, Pierre Joseph opère un ambigu retour à la nature. Au cours des dernières années, il a photographiquement récolté des monticules de patates, de pommes et de mûres. Au gré des saisons, il a cueilli des centaines de fleurs, traversé des hectares de blé et déplacé des kilos de fumier. Ses suites inexpressives de Photographies sans fin et sans horizon, dont chacune se concentre sur un seul sujet avec d'infimes variations, suivent des formats d'exposition standardisés. Des grilles, des lignes et des colonnes de photographies sont ajustées à l'infini afin de s'adapter à chaque nouvel espace d'exposition dans lequel ses séries sont activées. Ce dispositif prend la standardisation des tirages commandés en ligne et les réglages automatiques des derniers appareils photo numériques haute résolution comme des paramètres donnés. Il n'y a donc ici pas de style personnel, aucune tentative de déformer ou de contourner la nature à la fois intensive et mécanique de la photographie. Pour autant, pas non plus de stratégies de déqualification, simplement le reflet des capacités moyennes de l'imagerie photographique d'aujourd'hui.
Entre indétermination, variation et transparence, ces images sont à la fois trop génériques et trop spécifiques, elles sont à la fois trop pleines et trop vides. Cette condition leur permet d'évacuer de façon systématique le sens et la subjectivité, laissant ainsi place au processus de subjectivation en soi. Le sens est d'abord évincé de l'image photographique avant d'être récupéré dans un second temps à travers son mode d'apparition. Paradoxalement, c'est par la multiplicité que ces images aussi bien familières que déroutantes affirment leur existence en tant que choses dans le monde. Nous ne pouvons pas regarder ces images comme des forêts de symboles sans avoir le sentiment qu'elles nous observent aussi avec un regard étrangement familier.
Même si ces photographies pourraient nous rappeler les images de stock utilisées dans les allées des supermarchés, elles se trouvent comme surchargées par un réalisme qui s'immisce inévitablement dans la photographie en l'absence d'un certain type de prise de décision. Dans ce détour technologique par la nature, le réel devient un motif presque inquiétant alors que des colonnes infinies d'orge et de lavande photographiées sur le fond shabby-chic d'une table rustique deviennent un motif prêt à encercler le spectateur. Si les limitations physiques de la photographie analogique ont logiquement conduit à des catalogues de photographies Ruschaesques rassemblant quelques (Some), diverses (Various), neuf (Nine) ou encore vingt-sept (Twenty-Seven) versions d'une même chose, Pierre Joseph travaille avec l'infini qu'implique la capture numérique. Dans une approche qui joue au pantomime avec les stratégies tautologiques et taxonomiques de la photographie, l'artiste ne cesse de livrer plus de pommes, plus de mûres, plus de blé, plus d'orge, plus d'algues, plus de lavande, plus de fumier mais aussi plus de roses.
En effet, de vivants piliers réunit succinctement les deux volets continus du travail photographique récent de Pierre Joseph. À savoir, ses Photographies sans fin mais également #pierrejosephredouté, une série de photographies de roses inspirée par l'homonymie avec le célèbre peintre botaniste du XIXe siècle Pierre-Joseph Redouté. Réalisées à l'aide d'une technique de focus stacking où plusieurs photos d'un même sujet avec plusieurs mises au point sont combinées pour obtenir une image parfaitement nette, ces photographies de roses sont présentées sous forme de tableaux photographiques. Mais ces œuvres en apparence plus autonomes fonctionnent aussi en suggérant le hors-champ qui les constitue. De par leur existence physique en tant qu'œuvres d'art et donc leur diffusion numérique, ces images s'insèrent discrètement en ligne pour se mêler à leurs homologues dessinées et peintes à la main par Redouté. Un artiste peut en cacher un autre… Qu'il s'agisse d'un champ de fleurs, de blé, d'orge ou de lavande, ce hors-champ ne pointe pas vers une limite mais vers un champ élargi (an expanded field) où la photographie en sait toujours plus qu'elle ne montre et où elle montre toujours plus que ce que nous savons. - Émile Rubino
© Photo Gregory Copitet
© Photo Gregory Copitet
© Photo Gregory Copitet
© Photo Gregory Copitet
© Photo Gregory Copitet
© Photo Gregory Copitet
With his recent photographic work, Pierre Joseph performs an ambiguous retour à la nature. Over the last few years he has photographically harvested mounds of potatoes, apples and blackberries. According to the season, he has picked hundreds of flowers, gone through acres of wheat and kilos of manure. His endless suites of deadpan and horizonless photographs, each of which focuses on a single organic subject matter with minute variations, follow regimented exhibition formats. Grids, lines and columns of photographs are adjusted to fit every new exhibition space in which his sets of Photographies sans fin (Endless Photographs) are activated. This dispositif embraces the standardization of prints ordered online and the default automatic settings of the latest high resolution digital cameras. No signature style, no attempt to tweak or contort the intensive and mechanical nature of photography, but also no deskilling strategies; just a mirroring of the average capacities of today's photographic imagery.
Hovering between indetermination, variation and transparency, his images are at once too generic and too specific; too full and seemingly empty. This condition allows them to systematically evacuate meaning and subjectivity, thereby making way for the process of subjectivation to come to the forefront. Here, meaning is expelled from the picture so it can be recovered through the picture's mode of reception and the method by which it appears. Paradoxically, it is through multiplicity that these familiar yet confusing images assert their existence as things in the world. We cannot look through them like forests of symbols without feeling that they are also looking back at us with an oddly familiar gaze.
Although these photographs could remind us of the stock imagery found in the aisles of supermarkets, they are overburdened by the realism that inevitably creeps into photography in the absence of a certain type of decision-making. In this technologically mediated detour par la nature, the real becomes an ominous pattern. Infinite columns of barley and lavender photographed against the shabby-chic backdrop of a rustic tabletop grow into a tiled motif that engulfs the viewer. If the physical limitations of analogue photography logically made for Ruschaesque catalogues of photographs gathering Some, Various, Nine or Twenty Seven versions of a thing, Pierre Joseph works with the boundless and indiscriminate more entailed by digital capture. In a pantomimic approach to photography's tautological and taxonomical strategies, the artist keeps delivering more apples, more blackberries, more wheat, more barley, more seaweed, more lavender, more manure but also more roses.
In de vivant piliers, his two continuous strands of photographic work are succinctly brought together. Namely, the aforementioned Photographies sans fin, and #pierrejosephredouté, an ongoing series of photographs of roses riffing on the artist's homonymous connection with the famous nineteenth century botanical painter Pierre-Joseph Redouté. These photographic renditions of roses realized by way of focus stacking - a technique which consists in combining multiple images of a subject in order to obtain a perfectly sharp photograph throughout - are presented as tableaux-like pictures. However, these seemingly autonomous works also function by addressing the hors-champ that constitutes them. Through their physical existence as artworks and subsequent digital dissemination, these images seamlessly insert themselves online to mingle with Redouté's hand-drawn counterparts. Sometimes the best way to defer authorship is to hide it in plain sight… Importantly, this hors-champ doesn't point towards the outside of a field (champ), be it a field of flowers, wheat, barley or lavender. Instead, it points towards an expanded field where the photograph always knows more than it depicts and where it depicts more than we know. - Émile Rubino
© Photo Gregory Copitet
© Photo DR
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