Emma McIntyre est une peintre néo-zélandaise née à Tamaki Makaurau en 1990. Aujourd’hui, elle vit et travaille à Los Angeles. Depuis 2012, elle a fait partie de plusieurs expositions collectives en Nouvelle-Zélande. Sa première exposition solo “Loop the Loop” au 30upstairs à Wellington a ouvert en 2016, l'année même où elle a obtenu son diplôme de l’ Elam School of Fine Arts de l'université d'Auckland. Depuis, son travail a été présenté dans de nombreuses expositions à travers la Nouvelle-Zélande. En 2021, l'année de son deuxième diplôme de l'ArtCenter College of Design en Californie, la Chris Sharp Gallery de Los Angeles, en Californie, a organisé sa première exposition personnelle en dehors de la Nouvelle-Zélande.
Emma McIntyre, Pink cut pink, 2021. Oil and oil stick on linen, 72 x 64 inches.
Le geste est déterminé, sans relâche de bout en bout. Il déploie une multitude d’épaisseurs, de filtres, de surface humide ou sèche qui se retrouvent les unes contre les autres. Emma McIntyre s’est depuis longtemps émancipée de la grille moderniste(1). Tout d’abord, la peinture résulte d’une alchimie mise en attente, voire d’une suspension du temps. Puis, la palette refuse l’uniformité, elle est à tendance vive par moment, atmosphérique par instant et sombre par intermittence. Les taches dialoguent avec des traces de brosses ainsi que l’empreinte de la main par endroit. Le temps se brouille, la pellicule aussi. L’image est parfois trouble au point de ne plus savoir où regarder tant la chronologie est riche. La toile est préalablement disposée à l’horizontale afin de déposer le premier calque, viennent ensuite la relève en position verticale puis l’enjeu de la structure, de la composition, l’exercice de prédilection des peintres. De cette bascule découle un rapport physique au tableau. En effet, il nous enveloppe aujourd’hui comme il entourait l’artiste hier. Aussi loin que nos yeux peuvent voir, ils perçoivent un jaune poussin (Seven types of ambiguity, 2021), un rose géranium en pleine tempête (Up bubble her amorous breath, 2021), des réserves blanches ayant résisté au recouvrement (Pink cut pink, 2021) ou encore un coquelicot entre chair et sang (Vamp, 2021). De temps en temps, s’émancipent aussi des notes de tête, ascendance bleu ciel, vert d’eau, violette ou encore terre de sienne. Le corps est engagé, il dirige le trait et fait couler l’encre. La toile est affectée dans le sens où elle active un flot d’affects. Nous repensons à Audre Lorde : "L'érotisme n'est pas seulement une question de ce que nous faisons ; c'est une question de l'intensité et de la plénitude que nous pouvons ressentir dans l'action"(2). L’érotisme est action. Il dissout le conflit entre le corps et l’esprit au profit d’une célébration de l’acte de peindre. L’érotisme est en lutte et résulte de longs face à face rythmés avec la toile au cours desquels les fluides débordent sans pour autant imposer l’autorité d’un sens de lecture. Les petits et moyens formats viennent par la suite équilibrer l’accrochage et proposent une autre matérialité à l’oeuvre. À travers notamment des respirations, des actions plus directes, des zones d’entraînements en quelque sorte face aux chorégraphies plus complexes des panoramiques. L’œil est avalé par le signe. La réponse est émotionnelle. Le parcours est citationnel - aussi captivant que transhistorique. Pour cela, Emma McIntyre met en place la reconstitution d’une archive gestuelle de l’histoire de la peinture. Nous pensons ainsi reconnaitre les taches de Mary Heilmann(3),
la réminiscence affective des paysages de Joan Mitchell(4), les grattages et surimpression de Fuses (1968) film-manifeste de Carolee Schneemann auquel l’artiste à récemment rendu hommage(5).
La peinture se fixe dans ses rapports chimiques puis elle s’émancipe de son côté océanique lorsque la vague recouvrant la surface s’éloigne de plus en plus. Si le paysage est trop présent, l’artiste le perturbe avec une forme d’écriture afin de rompre tant l’évidence que la prédominance du motif. Après tout qu’est-ce qui ne concerne pas le paysage en peinture ? De fait, le paysage apparaît toujours mais davantage comme le souvenir d’une peinture de paysage. L’abstraction est souhait, désir, joie. Elle réussit l’exercice de rejouer les sentiments empruntés à son histoire et reproduit par conséquent l’affectivation d’une touche, d’un trait, sans trivialité, ni artificialité. En ce sens, l’abstraction de la jeune peintre surprend par sa vitalité, elle devient un objet transitionnel vers l’acceptation de l’art comme vecteur d’affect. « Être affectée par quelque chose, c’est évaluer cette chose » nous dit Sara Ahmed(6). Ainsi, la question ne serait donc pas tant de savoir que fait l’affect en peinture, mais plutôt comment l’évaluer ?
Née en 1990 à Auckland, Emma McIntyre vit et travaille sous le soleil de la Californie où elle vient de terminer sa formation. Elle a notamment étudié auprès de Bruce Hainley, Richard Hawkins, Chris Kraus et Laura Owens à l’Art Center College
of Design de Pasadena. Intitulée Up Bubbles Her Amorous Breath (après John Keats), sa première exposition personnelle en Europe est visible à Air de Paris à partir du 09 Janvier 2022.
Arlène Berceliot Courtin, Décembre 2021
1. Entretien avec l’artiste, Décembre 2021, Archives personnelles.
2. Audre Lorde, "Uses of the Erotic: The Erotic as Power (1984)" in Sister Outsider (1996), page 342. Extrait du statement de l’artiste, non publié.
3. Et notamment le rouge sanguinolent de Rosebud (1983) comme autant de gifles au formalisme masculiniste de la peinture américaine.
4. Et particulièrement les paysages nord-américains ainsi que les abords de Giverny où Joan Mitchell vécut pendant plus de trente ans : « Mes peintures répètent le sentiment du paysage du Lac Michigan, de l’eau ou des champs. C’est comme un poème vous savez ? Extrait de Joan Mitchell: Portrait of an Abstract Painter, un documentaire de Marion Cajori, 1992.
5. Emma McIntyre, Fuses, 2020. Oil, oil stick, flashe and acrylic on linen, 56 x 64 inches.
6. Sara Ahmed, The promise of happiness, Happy Objects, page 23, Duke University Press Durham and London 2010.
Emma McIntyre, Seven types of ambiguity, 2021. Oil and oil stick on linen, 72 x 138 inches.
Emma McIntyre, Up bubbles her amorous breath, 2021. Oil and oil stick on linen, 72 x 84 inches.
On a Picture of Leander
COME hither, all sweet maidens soberly,
Down-looking aye, and with a chastened light,
Hid in the fringes of your eyelids white,
And meekly let your fair hands joined be,
As if so gentle that ye could not see,
Untouched, a victim of your beauty bright,
Sinking away to his young spirit’s night,
Sinking bewildered ’mid the dreary sea:
’Tis young Leander toiling to his death;
Nigh swooning, he doth purse his weary lips
For Hero’s cheek, and smiles against her smile.
O horrid dream! see how his body dips
Dead-heavy; arms and shoulders gleam awhile:
He ’s gone; up bubbles all his amorous breath!
Mars 1817
De John Keats (1795–1821)
Emma McIntyre, Blood moon, 2021. Oil and oil stick on linen, 16 x 14 inches.
Emma McIntyre is a New Zealander painter born in Tamaki Makaurau in 1990. She now lives and works in Los Angeles. Since 2012, she has been a part of multiple group shows in New Zealand. Her first solo show “Loop the Loop” at 30upstairs in Wellington opened in 2016, the same year she graduated from Elam School of Fine Arts at the University of Auckland. Her work was presented in multiple shows around New Zealand since then. In 2021, the year of her second graduation, this time from the ArtCenter College of Design in California, the Chris Sharp Gallery in Los Angeles, California organized her first solo show outside of New Zealand.
The gesture is determined, never letting up from start to finish. It makes use of multiple depths, filters and wet and dry surfaces that butt up against each other. Emma McIntyre liberated herself long ago from the modernist grid(1). Her painting is, first of all, the product of an alchemy that has been put on hold, the fruit, even, of a suspension of time. Her palette then rejects uniformity, its tendency sometimes vivid, sometimes atmospheric and sometimes sombre. The patches of colour enter into dialogue with the brush marks and occasional handprints. Time becomes muddled, the film goes out of focus. The image is sometimes so blurred that we no longer know where to look, so rich is the chronology. To start with, the canvas is laid out horizontally and the first layer is applied. This is followed by a shift to the vertical, where the concern is with structure, composition, the exercise of painterly preference. This shift spawns a physical relationship with the picture. We are enfolded by the painting today just as it wrapped itself, not long ago, around the artist. Wherever we look, our eyes are met by a canary yellow (Seven types of ambiguity, 2021), a geranium pink in the midst of a storm (Up bubble her amorous breath, 2021), reserves of white that have resisted being covered over (Pink cut pink, 2021)) or a poppy red somewhere between flesh and blood (Vamp, 2021). From time to time, top notes break free, an updraught of sky blue, sea green, violet or even sienna. The body is engaged, directing the line and causing the ink to flow. The canvas is affected in that it activates a flood of emotion. We think of Audre Lorde’s words: ‘For the erotic is not a question only of what we do; it is a question of how acutely and fully we can feel in the doing.'(2). The erotic is action. It dissolves the conflict between body and mind, fostering a celebration of the act of painting. The erotic is a state of struggle and ensues from long rhythmic confrontations with the canvas, in the course of which the fluids brim over without imposing the authoritative sense of a direction in which to read. Subsequently, the small- and medium-format pieces come to even out the clash and offer the work a different materiality. This is achieved, in particular, through breathing, through actions that are more direct, through zones of entrainment opposed, in a sense, to the more complex choreographies of the panoramic. The eye is swallowed by the sign. The response is emotional, the route quotational – both enthralling and transhistorical. To this end, McIntyre reconstitutes a gestural archive of the history of painting. We think we recognise Mary Heilmann’s splotches(3),
the emotional recall of Joan Mitchell’s landscapes(4)the scratching and double exposure of Fuses – Carolee Schneemann’s 1968 film manifesto, paid homage to in one of the artist’s recent works(5).
The chemical relationships set, fixing the painting, which then breaks free of its oceanic side as the wave covering the surface moves further and further away. If the landscape is too present, the artist disrupts it using shapes that resemble writing to upset both the obviousness and the predominance of the motif. After all, what doesn’t relate to landscape in painting? The landscape is always apparent, in fact, but more as the memory of a landscape painting. Abstraction is desire, longing, joy. It succeeds in re-enacting the feelings borrowed from its history, thus reproducing the affective quality of a brushstroke, of a line, without triviality or artificiality. In this sense, the vitality in the young painter’s abstract approach comes as a surprise. The abstraction becomes a transitional object moving towards the acceptance of art as a vehicle for affect. In the words of Sara Ahmed, ‘To be affected by something is to evaluate that thing’(6). Wouldn’t the question then be less about the action of affect in painting and more about how to evaluate it?
Born in Auckland in 1990, Emma McIntyre lives and works in sunny California, where she has just finished her studies – most notably with Bruce Hainley, Richard Hawkins, Chris Kraus and Laura Owens at the ArtCenter College of Design in Pasadena. Entitled Up Bubbles Her Amorous Breath (after John Keats), her first solo exhibition in Europe is on view at Air de Paris from 9 January 2022.
Arlène Berceliot Courtin, Décembre 2021
Translated by Simon Cowper
1. Interview with the artist, December 2021, private archive.
2. Audre Lorde, ‘Uses of the Erotic: The Erotic as Power’, in Sister Outsider: Essays and Speeches (Freedom, CA: Crossing Press, 1984), 54.
3. Including the bloody red of Rosebud (1983) – a slap in the face administered to the masculinist formalism of American painting.
4. In particular, the North American landscapes and the area around Giverny where Mitchell lived for more than thirty years: ‘My paintings repeat a feeling about Lake Michigan, or water, or fields… It’s more like a poem.’ From Marion Cajori, Joan Mitchell: Portrait of an Abstract Painter, documentary film, 1992.
5. Emma McIntyre, Fuses, 2020, oil, oil stick, Flashe and acrylic on linen, 56 × 64 inches.
6. Sara Ahmed, The Promise of Happiness (Durham, NC: Duke University Press, 2010), 23.
Emma McIntyre, The laws of night and honey, 2021. Oil and oil stick on linen, 67 x 79 inches.
Emma McIntyre, The light of ambivalence is a heavenly one, 2021. Oil and oil stick on linen, 84 x 72 inches.
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Courtesy the artist and Air de Paris, Romainville