Dès sa puissante émergence sur la scène artistique, Sturtevant a bousculé les choses.Si ses répétitions d’œuvres de ses pairs frappent les spectateurs comme une brique dans la tête, ses dernières vidéos sèment elles aussi la pagaille. Dans ces vidéos, de courtes scènes — des exemples extrêmes de la culture de la consommation et du divertissement dans les domaines de la beauté, la nourriture, le porno et le sport — sont collées et montées de façon à produire un état d’agitation et de confusion permanent, un incessant et bruyant mouvement de va-et-vient, sans que ce qui a initié ce grand brouhaha ne soit même jamais clair.
Allant de séquences d’émissions de jeux télévisés et de publicités dans les premiers exemples tels que The Final Articulation of Origins (1999), The Greening of America (2000) et Shifting Mental Structures (Millionaire / Money) (2000), à du matériel filmé comme les différents jouets en peluche animés dans I Love Arlette (2002), Cut and Run Porn Productions (2006) et Cut and Run Porn Productions (Chick Things) (2006), toutes les vidéos sont méticuleusement compilées, éditées et découpées. Des alternances rapides entre répétition et inversion, similitude et différence, vrai et faux, début et fin, créent une séquence vertigineuse d’images, impossible à circonscrire, un peu comme l’expérience troublante d’un Warhol signé «STURTEVANT».
Plus d’une trentaine de films constituent ainsi l’ensemble important d’une œuvre vidéo qui a débuté à Air de Paris en 1998 avec une exposition intitulée « ça va aller », qui a également donné son nom à la société de production de Sturtevant et de sa collaboratrice L. Muzzey. Si les vidéos ont constitué un changement de forme et de médium qui ont introduit le temps et le mouvement ainsi que le son et la lumière dans l’œuvre de l’artiste, selon le propre constat de Sturtevant, les vidéos abordaient toujours les mêmes préoccupations que dans ses précédentes répétitions, mais il était devenu plus urgent, dans le contexte de la cybernétique et du numérique, de « repousser les lignes de faille et la fausseté des structures de pensée actuelles, de montrer les entraves et la brutalité inhérentes à notre désir obsessionnel d’apparence et d’immédiateté» » (2004).
Des coupures incohérentes et des changements brusques au sein de chaque vidéo et entre les différentes vidéos lorsqu’elles sont installées dans le même espace d’exposition, génèrent un jeu perceptuel qui, plutôt que de révéler quoi que ce soit derrière les surfaces immédiatement disponibles, soulève des questions plus fondamentales sur la relation entre l’apparence et la réalité.
À l’ère des fake news et de la manipulation numérique, malgré leurs qualités éminemment low-tech d’images granuleuses et de théâtre de marionnettes, des œuvres comme The Greening of America etI Love Arlette ne pouvaient pas être plus opportunes. Mais, dans le travail de Sturtevant ce qui est sombre, plutôt que d’être présenté comme un avertissement sévère ou une théorie aride, produit du plaisir et de l’excitation – comme par exemple avec ce petit cochon, un jouet mécanique qui grogne et tourne de la queue avant de tomber de la table dans Cut and Run Porn Productions. Avec son énergie débordante de vie et son humour, son travail offre aux spectateurs une sorte de réconfort alors qu’il les fait regarder directement dans l’œil de l’abîme contemporain.
—Elisa Schaar
En 1960, une artiste du nom de «Sturtevant» fait son apparition lors d’une exposition collective à la Betty Parsons Gallery de New York, mais c’est à partir de 1964 que débutent ses Répétitions. Repliquant de mémoire le travail d’artistes tels qu’Andy Warhol, Jasper Johns, Marcel Duchamp, Joseph Beuys, Frank Stella ou Felix Gonzalez-Torres, elle questionne l’originalité, la signature et interroge les structures internes de l’art. Retournant sur elle-même la logique du Pop Art, elle s’immisce dans l’écriture de l’Histoire de l’art en reprenant les oeuvres d’artistes avant qu’ils ne soient reconnus internationalement, faisant ainsi montre d’une étonnante intuition.
En dépit d’une grande modularité et de sa parfaite maîtrise de la sculpture, la peinture, la photographie et de la vidéo, l’oeuvre de Sturtevant a longtemps été ignorée par l’Histoire de l’art américaine d’après-guerre. Précédant de quinze ans le mouvement appropriationiste, apparu dans les années 80, ses répétitions ne sont pas de simples exercices mimétiques ou une protoappropriation, mais bien la réinterpreation d’une partition jouée par des hommes. Ses oeuvres étudient le champ de l’art par l’étude de leur fabrication, leur réception, leur circulation et leur canonisation.
Travaillant principalement sur la video à partir des années 2000, Sturtevant élargit son champ, en collant des séquences de films Hollywoodien, d’émissions de télévision ou des publicité, en « répondant au vulgaire par la vulgarité, à la violence larvée par la violence frontale, à l’obscénité sous-jacente par l’obscène avéré et à l’hypocrisie par la provocation directe ».
Sturtevant (1924, Lakewood, Ohio – 2014, Paris) a reçu le Lion d’Or en 2011 pour l’ensemble de son œuvre. Elle a bénéficié d’importante exposition dans des institutions internationales telles que le Abertina Museum, Wien (2015); Hamburger Bahnhof Museum für Gegenwart, Berlin (2015); The Museum of Modern Art, New York (2014); Serpentine Galleries, Londres (2013); Kunsthalle, Zurich (2012); Moderna Museet, Stockholm (2012); Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris (2010) and the Museum für Moderne Kunst, Frankfurt am Main (2004 et 2014).