Communiqué de presse / Press release
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Les Ghost Dresses font partie d’une série de sculptures débutée en 2011. Les robes sont des formes sculpturales molles non-incarnées et des supports d’accrochage. La série des (Californian) Ghost Dresses (2018), présentée à la Ghebaly Gallery en décembre 2018, est un ensemble de sculptures suspendues à un support utilisé d’ordinaire dans les studios photo. Ici, l’objet est à la fois un système d’accrochage et une version surdimensionnée du portant à vêtement qui pop’up et circule, puisque mobile, dans l’espace blanc de la galerie. Les robes, en apparence disponibles, prêtes à être revêtues et possiblement incarnées, ont été conceptualisées en Californie et produites à Paris. Elles sont au sujet des poses et des discours préfabriqués, de leur formulation dans le réel, qui modèlent les comportements individuels et sculptent les groupes. Leur origine est rétinienne et mémétique. C’est pourquoi j’aimerais proposer la notion de blink pour parler de ce travail.
¬Blink c’est à la fois le coup d’œil, le clin d’œil et le battement de paupière qui m’apparaissent être l’un des modes de vision expérimenté par Ingrid Luche pour attraper les phénomènes sociaux et médiatiques contemporains qui circulent, transformés en images, dans les rues et sur les écrans. Ces images attrapées et disponibles, prêtes à être endossées, ornent les formes vides des sculptures de la série californienne. Blink est la manière dont je vois Ingrid regarder les phénomènes sociaux qui circulent sur les réseaux (statements et postures), à la télévision (news en continu), au cinéma (héroïsme en carton) et dans la ville (brands et magasins spécialisés). Il s’agit dans son cas d’un système de regard marginal porté sur les détails d’un monde à vendre et d’un merchandising idéologique en constante reformulation.
La série est construite à partir d’un corpus d’objets et d’images collectées par l’artiste durant ses déplacements en Californie : un pavillon en flamme (vu à la télé), un mural à l’effigie d’Arnold Schwarzenegger (remarqué dans la rue), des écouteurs jetables (reçus dans l’avion), une photographie d’un tirage de canyon désertique de Richard Prince (monumental, vu au LACMA), une capture d’écran d’une vidéo de Nasim Najafi Aghdam, bodybuildeuse et militante pour les droits des animaux. Nasim Aghdam est originaire d’Iran. Elle est célèbre pour avoir attaqué les bureaux de la plateforme Youtube, avant de sa donner la mort, en raison d’une modification de leur politique de rétribution des chaines (elle revendiquait 15000 followers et contestait son déclassement). Nasim Aghdam, Schwarzenegger ou les déserts de Prince sont maintenant des motifs all-over imprimés sur tissus ; les écouteurs ou les lunettes de soleil récupérés ici et là sont des matériaux source assemblés en réseaux de signes et de texture pour orner, tels des bijoux, les images mentionnées. Les images et les objets sont pliés, ouverts, transformés. L’image de Prince est une grande jupe plissée démesurée, ceinturée de chaînettes et goodies; la maison en feu, retournée, est un motif décoratif déréalisé; Schwarzenegger un châle. Les déplacements sont d’autant plus surprenants qu’ils marchent sur le modèle contrarié du désir individuel (formulé, travaillé, soumis) et de l’attente (toujours en sursis, en demande de validation, dépendante d’une institution médiatique elle-même désincarnée). L’utilisation récurrente de simili-cuir, 100% Spandex, est à l’image de cette relation-projection contrariée.
Ingrid Luche m’a expliqué s’intéresser aux questions de production dans l’art comme dans la société. « Les modèles de vie actuels sont paradoxaux dit-elle. Je m’intéresse à l’ambivalence et aux territoires sociologiques qui nourrissent ces modèles. Ils produisent à la fois de la fascination et son contraire à l’image d’un véganisme basé sur le tout jetable. Et on vérifie cela dans l’attitude, dans les modes de vie. Nasim Aghdam est un exemple archi puissant de ce type d’autodestruction par le réseau social. »
Marie Canet, Novembre 2018.
Ingrid Luche est née en 1971 à Antibes, elle vit à Paris et enseigne à l’Ensa de Bourges. Depuis ses études à la Villa Arson, elle développe notamment une recherche sur la perception sensible de l’architecture et des espaces publics et sa restitution par le biais de sculptures, photographies ou installations in situ. Ses oeuvres ont la capacité certaine de déconcerter : le spectateur reconnaît dans ses sculptures et ses installations les formes usuelles et fonctionnelles dont elles s’inspirent mais dont elles se distinguent par un écart qui n’est autre que celui séparant la réalité du rêve. Les espaces que crée Ingrid Luche dans ses expositions sont des rémanences de lieux parcourus, traversés, porteurs d’un vécu devenu inconscient. Son travail a été exposé dans des institutions françaises et étrangères et ses oeuvres font parties des collections de plusieurs FRAC et également d‘institutions telles que MuZEE à Ostende, Belgique et Von-der-Heydt-Museum à Wuppertal, Allemagne.
Le titre de l’exposition est extrait de l’expression “There they kill you by ax, here they kill you with cotton”, utilisée par Nasim Najafi Aghdam pour comparer les méthodes iraniennes aux américaines.
Avec le soutien à une Recherche/production artistique du Centre national des arts plastiques, France.
Ingrid Luche’s Ghost Dresses are part of a series of sculptures begun in 2011. Made to be hung, the garments are soft, bodiless sculptural forms. The (Californian) Ghost Dresses series were shown at the Ghebaly Gallery in Los Angeles in December 2018 is a group of fabric sculptures suspended from a support structure for photo studio backdrops. This makes the object itself a display system and an outsize clothes rack which, being mobile, pops up and moves about inside the white space of the gallery. Seemingly available – ready to be put back on and maybe embodied – these dresses were conceptualised in California and produced in Paris. They’re all about the poses and prefabricated discourses – and their expression in reality – that model individual behaviour and sculpt groups. Their origin is retinal and memetic and this is why I’d like to bring the concept of blink to bear on these works.
Blink is simultaneously the glance, the wink and the flutter of the eyelid which seem to me one of the visual modes Luche tests out for capturing the social and media phenomena turned into images that roam our streets and screens. Captured, available, ready to be made use of, these images embellish the empty – in the sense of uninhabited – forms of the sculptures making up the Californian series. Blink is the way I see Luche looking at the social phenomena that circulate on the networks (statements and posturings), on television (news 24/7), in the movies (bogus heroism) and in our cities (brands and niche stores): an outsider’s scrutiny of the details of a world for sale and endlessly reformulated ideological merchandising.
The series is constructed from a corpus of objects and images collected by the artist during her travels in California: a burning house (seen on TV), a mural of Arnold Schwarzenegger (spotted in the street), disposable headphones (from a plane trip), a photo of a Richard Prince print of a canyon in the desert (gigantic, seen at LACMA), and a screenshot of a video by woman bodybuilder and species activist Nasim Najafi Aghdam, who shot up YouTube headquarters and then committed suicide. Her stated reason was changes to YouTube’s payment policy regarding her channels: she claimed 15,000 followers and challenged her downgrading. The burning house, Nasim Aghdam, Schwarzenegger and Richard Prince’s deserts became all-over fabric patterns; the headphones and sunglasses picked up here and there are source materials brought together as networks of signs and textures to provide jewel-like ornaments on these images. The images and objects are folded, opened out and transformed. The Prince photo becomes an enormous pleated skirt belted with chains and goodies; turned upside down, the house on fire is a decorative pattern stripped of its realism; and Schwarzie’s a shawl. These displacements, these signs and forms are all the more surprising in that they stick to the thwarted model of individual desire (formulated, honed, submissive) and waiting (permanently hanging fire and dependent on a media institution that is itself disembodied). The use of 100% Spandex imitation leather is a reflection of this unstable, unbalanced relation-projection.
Ingrid Luche explained to me that she was interested in production issues in both art and society: «Current life models are paradoxical and I’m drawn to the ambivalence and the sociological territories that fuel them. At one and the same time they produce fascination and its opposite, like a veganism based entirely on disposability. This checks out in attitudes and lifestyles. Nasim Aghdam is a hyper-powerful example of this kind of social network self-destruction.»
Marie Canet, November 2018.
Ingrid Luche was born in 1971 in Antibes. She lives and works in Paris and teaches at Ensa in Bourges. Since her study years at the Villa Arson school of art near Nice she has been exploring the sensory perception of architecture and public spaces and its recreation via sculpture, photography and site-specific installations. Ingrid Luche’s works disconcert: in her sculptures and installations the viewer recognises the everyday functional forms she takes her inspiration from, but those forms are marked out by a gap that is none other than the one separating reality from dream. The spaces she creates in her exhibitions are remanences of places passed through and permeated with a now unconscious experience.Her work has been exhibited in institutions in France and abroad. Her work has been acquired by public collections in France and Europe, among them MuZEE, Ostende, Belgium and Von-der-Heydt-Museum, Wuppertal, Germany.
The title of the exhibition is an extract from the quote “There they kill you by ax, here they kill you with cotton”, from Nasim Najafi Aghdam to compare Iranian and American methods.
With the support of Recherche/production artistique from Centre national des arts plastiques, France.
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