Des signes pour la vie
Les dessins de Mathias Augustyniak constituent des fragments pour une sémiologie. L’artiste rassemble des signes du monde extérieur, les lit, les réinterprète, les transforme. Tous ces signes sont assemblés, égaux les uns aux autres, ils composent un langage où le mot et l'image communiquent et pourraient bien devenir interchangeables. Sa pratique du dessin est portée par une forme ancienne d’humanisme — une exploration des potentiels de l’humanité. Deux vocabulaires structurent, significativement, ce langage : la figure humaine, et les lettres — et souvent, ils se fondent l’un dans l’autre, la figure humaine mute en lettres d’un alphabet de l’universel, contribuant à un discours dont le sens reste encore à déchiffrer, alors que les lettres sont habitées par le corps, ou des parties de corps, à tel point qu’elles ne peuvent se décontaminer l’une de l’autre. La présence récurrente de l’érotisme contribue à l’élément humaniste de ses dessins ; l’érotisme est par nature l’art de l’attraction, l’art du désir. C’est l’amour humain qui se manifeste à travers l’humanité elle-même. En tant que tels, ces dessins symbolisent toute son œuvre de dessinateur : ils sont des déclarations d’amour envers l’être humain. Ces êtres humains sont tous le sujet d’une rencontre personnelle avec Mathias Augustyniak : qu’ils soient amis, aimés, personnages fantasmés, ils sont les matrices d’un embellissement et d’une amélioration de la vie de l’artiste — dans l’humanité, avec les humains. La logique des rencontres domine toute relation : elle demande intensité et intimité ; et la réalité de la personne rencontrée n’est pas une condition de la rencontre; l’individu ne peut être dénombré dans une démographie des populations vivantes et disparues ; il est au contraire une figure de dramatisation de l’humanité, réelle, irréelle, potentielle — un être humain plein d’humanité.
Ce sens profond de l’humanité appartient à un processus de poétisation du monde sentiment de suggestion, transformation rêvée des images, manifestée par un usage constant de l’encre et du noir et blanc, ainsi que des couleurs les plus vives. Les extrêmes composent ce monde, tel un espace ouvert pour rassembler rêves et réalités ailleurs, où l’humanité se fait dynamique, plus belle et plus intense.
La pratique de dessinateur de Mathias Augustyniak et sa participation à M/M (Paris) — il est un des deux M du célèbre duo de design — est en soi un élément essentiel de cet ensemble d’œuvres : plusieurs de ses dessins, réalisés pour des commandes ou non, se sont retrouvés dans des projets du studio pour les mondes de l’art, de la mode, de la musique et spectacle; et pourtant ils existent aussi en tant que tels.
Cela montre la tension inhérente à ces œuvres ; Michaël Amzalag et Mathias Augustyniak, en remplaçant leurs noms par l’initiale de leurs prénoms, disparaissent ainsi en tant que personnes, acceptent le fait que leur individualité — et en un sens la pleine signification de l’humanité — doit disparaître dans un monde de signes, où l’humanité a perdu son centre, pour devenir partie d’un monde où les machines, objets, animaux et plantes sont tous égaux en tant qu’habitants d’un espace partagé. La modernité — les dynamiques de l’histoire régit cette approche. Mais la pratique du dessin chez Mathias Augustyniak, articulée dans et pour le monde humain, manifeste la pertinence continue de cette présence, essentielle même quand elle est presque absente. Le dessinateur est un collectionneur d’images, de rencontres, de choses et de visions qui ne lui sont permises que parce qu’il est un être humain. Dessiner est un rappel de l’humanité des choses, et Mathias Augustyniak est partie intégrante de cette histoire de la représentation — une histoire aussi ancienne que l’humanité elle-même. Dans la conscience de son appartenance se trouve son autre identité — celle d’un classique.
Il y a certainement de nombreux ponts entre ces deux approches : le classicisme dans la totalité de sa signification est bien moins intemporel qu’on ne pourrait escompter — bien plus localisé ; la modernité inclus et englobe les origines les plus classiques. Ces œuvres nous rappellent que ces deux termes ne sont nullement contradictoires : tout comme l’individualité et les choses, les signes et les personnes, les mots et les images, classique et moderne cohabitent, plus souvent que jamais, et à la fin ils énoncent la complexité de l’existence, et ses profondes coïncidences.
Donatien Grau